Premiers mille milles… et quelques jusqu’aux Canaries
3500 milles se sont écoulés depuis notre départ mi-août de La Rochelle. Une grosse
partie s’est faite au moteur par manque de vent, nous permettant du coup de tester
leur fiabilité ! On a aussi profité de ces deux mois et demi pour découvrir notre
nouveau bateau, ses aménagements, son confort, sa capacité à naviguer. On a validé
nos choix techniques, et apprécié la cohérence de l’ensemble, tant en terme de qualité
de fabrication et de finition, qu’en terme de navigabilité et de confort en mer.
Sur le papier, c’était le bateau que nous cherchions. Sur l’eau, c’est le bateau
dont nous avons rêvé… Les prochains milles devraient nous permettre de confirmer
ses performances sous voile, le spi et le gennaker n’attendant que les alizés pour
s’exprimer, et ils sont juste devant nous, sur la route du Cap Vert, notre prochaine
destination !
Mais en attendant, petit retour en arrière sur les milles alignés depuis La Rochelle…
10 août : après ces mois de préparations, nous sommes enfin prêts. A quoi ? On ne
sait pas exactement, notre dernière vraie navigation datant de décembre 2010, ça
fait un moment, est-ce qu’on sait encore faire ??? Et puis La Rochelle – Méditerranée
en passant par le golfe de Gascogne, le cap Finisterre, le détroit de Gibraltar,
les côtes marocaines, et enfin la remontée par le golfe du Lion, ça fait un beau
programme de quelques 2000 milles, presque 3500km... Impeccable pour un galop d’essai !
Finalement, l'idée générale c'est qu'on s'est fait surprendre, mais alors bien de
chez bien. On partait de La Rochelle pour de la pétole caniculaire, frigo plein de
bonnes choses à préparer, les petits plats dans les grands sur une mer d'huile, la
crème solaire bien à portée de main, les films dans l'ipod, la liseuse chargée de
bons romans de 500 pages minimum... Tranquille quoi !
On s'est vite rendu compte qu’il y avait méprise, puisque dès la sortie entre Oléron
et Ré, le vent est monté, de face, la mer s'est creusée, de face aussi (bizarre ?),
la température a chuté, et le bateau a commencé à se couvrir d'eau salée et froide
(où est Bora ?). On ajoute de bons nuages, des grains, et nos estomacs n'ont pas
fait long feu pour la première fois en 4 ans. Bruno en soirée, moi dans la nuit,
résultat on s'est retrouvé vite fait dans nos duvets polaires à se demander si finalement
un tour du monde en vélo... Un peu de réflexion au milieu du désarroi ambiant, le
temps de constater que le bateau encaissait super bien et la confiance est revenue.
Il suffisait juste de trouver les freins pour arrêter de taper dans les vagues, parce
que 15nds de vent réel (donc quasi pétole) + 8 nœuds de vitesse, ça fait déjà 23nds
de vent apparent, et dans 2m de vagues bien courtes, c'est vite insupportable. Donc
prise de ris, ajustement du cap par rapport aux vagues, prise de météo pour vérifier
qu'il va falloir s'habituer, prise de comprimés contre le mal des transports, et
on s'est endormi. Donc siestes sur siestes, de jour comme de nuit, le temps d'avancer
un peu dans ce fameux golfe de Gascogne. Mais avec un bateau confortable malgré les
conditions et rapide, on s'est retrouvé bien vite à proximité de La Corogne pour
la révision des 50h de nos moteurs tous neufs. On n'allait pas se priver, donc direction
la marina de La Corogne, récente et agréable, au calme, avec sa laverie et son wifi,
la sensation d'être enfin partis, et l'occasion de faire un peu de tourisme dans
une ville qu'on n'aurait sans doute jamais visité dans d'autres circonstances.
22 août : le temps est au beau fixe depuis 3 jours que nous sommes repartis de La
Corogne. On profite du soleil en se crémant consciencieusement, on en profite aussi
pour cuisiner un peu, Ziiiiip et la première Bonite se laisse séduire par les nouvelles
cannes de Bruno… fini les riz express au micro-onde. Après une jolie parenthèse de
vent, dont on a bien profité jusqu'à extinction totale (qu'est-ce que ce bateau va
bien !!!), on s'est retrouvé in ze pétole again et on the moteur idem. Mer d'huile
pour longer le rail des cargos, vraiment très impressionnant, surtout qu'en soirée
certains ont commencé à venir jouer sur les bordures, pile là où on se trouvait.
Nuit de surveillance, un peu de fatigue mais récupérée en journée, et nous voilà
ce midi presque en panne de gasoil. C'est balot ça, la jauge était fausse, toujours
en rodage le nouveau Thetys ! Enfin on surveillait, et du coup, direction Tanger,
où le guide nautique annonçait le Royal Yacht Club de Tanger avec station service
24/24h côté port de pêche. Quelle surprise en arrivant dans la baie... Un grand bassin
à ferrys qui font la navette avec Gibraltar, et une espèce de port de pêche contenant
des centaines de bateaux couverts de rouille, plus deux vedettes militaires qui occupaient
tout l'espace visiblement abordable. On s'enquille là-dedans à toute petite vitesse,
tous les gars aperçus nous font non non, pas de gasoil ici... Demi-tour, pas du tout
envie de s'embarquer dans une galère marocaine. Mais pas de gasoil, pas de nav' dans
la pétole du détroit étroit de Gibraltar au milieu des cargos de 300m de long. On
mouille devant la grande plage, annexe à l'eau, et Bruno va nous bidonner 60L à la
station service la plus proche, en évitant la police locale qui pourrait trouver
plus sympa de nous obliger à faire les papiers d’entrée officiels... Deux heures
plus tard, on repart, j'ai même eu le temps de préparer une grosse salade pour le
déjeuner, et une mousse au chocolat (première tentative) pour l’anniversaire de Bruno
demain.
Plus que 45 milles, au moteur toujours, mais avec confiance dans nos réservoirs cette
fois, sauf que le courant s'est inversé dans le temps imparti. On se retrouve à 3
noeuds plein gaz à la sortie de Tanger, oups, ça va être chaud pour arriver avant
la nuit à Smir. Heureusement la carte nous indique le contre-courant à la côte, on
se faufile, et ça marche ! On file plein pot (8nds) vers la sortie de Gibraltar,
le rocher dépasse de la brume avec quelques ferrys à ses pieds, magique !
Mais la journée n’est pas finie, une nappe de brouillard nous barre la route, au
niveau de la grande baie de Ceuta (enclave espagnole sur la côte marocaine, qui fait
face à l’enclave anglaise sur la côte espagnole, pourquoi faire simple ?). On passe
pas loin de l'entrée, toujours en "rase caillou" pour pousser avec le contre courant,
et là, surprise, le brouillard ne s’arrête pas comme espéré, mais se répand devant
nous. On ne voit pas à 10m, mer d'huile, 8nds au moteur, ambiance. Bruno sort la
corne de brume, et commence à balancer des pouett pouett à droite à gauche, sans
doute pour faire coucou aux cargos éventuellement perdus dans ce fog londonien. Ha
non, en fait, c'est pour les pêcheurs qui pourraient avoir la bonne idée de naviguer
à l'aveuglette comme nous, alors que les cargos sont visibles sur l'AIS. C’est le
nom de la nouvelle merveille techno, comme un radar mais avec toutes les identifications
des bateaux (les gros), le nom du bébé, l'âge du capitaine, son numéro de téléphone
perso, enfin c’est le truc qui veille à notre place (et à la leur aussi…). On passe
devant Ceuta, on file vers la pointe de l'espèce de jolie presque-île, mais on ne
voit toujours rien, Un espoir que ça se dégage derrière... Que nenni, la purée de
pois nous environne, légèrement oppressante, ambiance « Titanic »... Mais on continue
notre route, Smir nous attend à la nuit, et on ne va pas rester dans ces eaux-là.
Parfois la lumière du soleil s'intensifie, nous laissant l'espoir que... Mais non,
c'est vraiment incroyable. Bruno continue à pouett-pouetter, j'ai le nez collé au
radar, quelques échos, on fait le tour, dans le doute. Enfin ça s'éclaircit, des
lambeaux, ça se déchire, comme dans un film. On découvre un petit pêcheur qui en
remorque un autre juste devant nous, en face de nous plutôt, il était temps que ça
se lève. Le bateau est rincé, comme s'il avait plu, et on respire. Encore un quart
d’heure pour rallier la marina, le soleil disparaît derrière les montagnes du fond
d'écran, c'est beau comme coin. Grande plage, entrée de la marina à droite, des jetskis
à gogo, un immense hôtel et pleins de petits immeubles tout blancs, ça sent la station
balnéaire... On s'amarre au ponton gasoil (quand on aime), comme ça on sera au plus
près pour biberonner d'urgence demain matin pour nous permettre de retrouver notre
autonomie !
30 août : quand ça veut pas…La Méditerranée reste fidèle à ses principes, pas de
vent ou trop de vent. On en fait les frais, mais on était prévenu. Donc beaucoup
d’heures de moteur, qu’on arrive quand même à couper de quelques heures de silence,
quand un petit vent de 10 nœuds maximum nous permet d’envoyer les voiles, et de se
régaler du calme qui revient instantanément à bord, juste bercés du ruissellement
de l’eau sur les coques. « Ce bateau n’avance pas, il chante sur l’eau » déclame
Bruno, heureux. Thetys adore ces petits vents qui le poussent juste à la bonne vitesse.
10/10/12 : 4 ans et demi après le 3/3/8…
Fini le Boat-show de Cannes avec ses rencontres géniales de quelques-uns de nos lecteurs
(Yvan, Michel...). Salon qui nous a conforté dans notre choix du Nautitech 542 malgré
une pléthore de nouveautés. Fini les voiles de St Tropez et son restaurant « La Thaïlandaise »
où Bernard, le patron, éternel fumeur, nous accueille toujours aussi bien, malgré
sa surprise de nous revoir 5 ans après notre premier départ. Fini Cogolin et les
ultimes préparatifs au départ, avec les dernières visites d’amis et famille. Fini
les 2 jours tranquille de navigation vers les Baléares pour se poser à nouveau afin
d’éviter un coup de vent.
C’est officiel : Thetys est reparti pour son tour du monde, et nous avec !!!
15 octobre : une bien belle journée… Probablement parce que j'avais encore 39 ans
:-)
Et pourtant, on s'est levé un peu tôt, après la dernière averse qui a rincé le bateau
mais avant le jour... Les belles journées appartenant à ceux qui se lèvent tôt (?),
on avait décidé de décoller à 8h de notre mouillage d'Ibiza. Vent de nord annoncé,
20-25nds, on sort les voiles mais 2 ris brident la GV, on est prudent ! Et à juste
titre, le vent arrivant dès l'abri de l'île montagneuse quitté, les vagues se levant,
comme une bonne houle bien courte typiquement méditerranéenne, heureusement le tout
dans le dos, l'autre sens nous ramenant vers la France... L'anémo semble un peu perdre
les pédales, nous annonçant un bon 30-35nds apparent, montant le compte-tour du vent
réel jusqu'à 54nds ! On ne pense pas avoir vu ça, il a pris un p'tit coup de Provence
exagératrice dans le nez apparemment. Bon on se fie à notre expérience (!) et à notre
bon sens, on file droit dans les vagues, on surfe, à 16,5nds (mais c’est Bruno qui
détient notre record temporaire avec 18,4nds le long des côtes marocaines !) pendant
que la moyenne tourne tranquille autour de 8,5nds. C'est tout droit (presque), on
s'arrange avec les vagues, le ciel est tout bleu, on a laissé les derniers orages
et nuages sur les îles, ça moutonne, ça déferle un peu, c'est magnifique, le bateau
adore ça, et à l'intérieur c'est option TGV- zen, silence on profite ! Après un "riz-tout-fait"
expédié en 2mn au micro-onde en guise de déjeuner "marin", le vent baisse un peu,
on relâche nos 2 ris, on continue entre 8 et 10nds. Un bel après-midi de glisse,
seuls 2 bateaux de pécheurs ont osé affronter cette mer, mais à l'envers, chapeau
! Fin d'après-m', le vent continue de baisser comme prévu, je barre pendant 1h, le
casque sur les oreilles, pour le plaisir de garder les voiles jusqu'au coucher du
soleil qui signe le retour de la pétole... Bonheur ! Il va sans dire que veste de
quart et pantalon étaient de rigueur, mais entre Gibraltar qui se profile et 12h
d'affilée sous voile, les conditions étaient réunies pour bien en profiter !
20 octobre : au large de Rabat
Presque 24h qu'on a quitté notre ponton de Gibraltar. Le démarrage a été assez olé
olé. Plus le temps pour les tergiversations météorologiques (vent dans le nez ou
pas, houle entrante ou pas...) apparues dans la journée, en partant à 19h de la marina,
on s'est retrouvé dans la baie au coucher du soleil, et dans le détroit à la nuit.
On a quand même eu le temps d'apprécier le rocher, une jolie lumière, les cargos
mouillés au pied. Mais deux cargos sortants en même temps que nous nous ont vite
rappelés à l'ordre, ici on est les petits, ceux qui manœuvrent facilement, donc ceux
qui manœuvrent tout court. Heureusement pétole et moteur facilitent les choses, et
c'est scotchés au radar qu'on a appréhendé les 2 cargos, puis ceux du rail, et les
ferrys rapides qui font la liaison côte espagnole - côte marocaine, sur la même route
que nous avions choisi pour traverser le détroit au plus court. Quelques écarts de
route plus tard, nous voilà le long des côtes marocaines, à chercher le contre-courant
annoncé, tout en surveillant les pêcheurs qui s'éclairent à la frontale, ambiance
toujours. Jusqu'à 2h du matin, le temps de tourner le cap Espartel, où la houle atlantique
nous a bien secoués le temps qu'on se dégage. C'était un sacré début de nuit, qui
m'a tenu les yeux ouverts jusqu'à 3h, avant de passer le relais à Bruno dans des
eaux enfin libres et plus tranquilles.
Aujourd'hui c'était beaucoup plus tranquille, quelques cargos mais le plus gros du
flux est ailleurs, des orages par-ci par-là, du vent un peu de face mais porteur,
qui nous a permis de naviguer à la voile une bonne partie de la journée, des dauphins
joueurs, un arc en ciel magnifique, la longue houle
atlantique ! On y est, ça sent le début de tour du monde, enfin, même si on a du
mal à réaliser qu’on est vraiment repartis… Il ne manque plus que les degrés, mais
on a vérifié sur internet, c'est tout droit ! Et les Canaries se profilent, marquant
notre retour dans le grand bain des tourdumondistes !!!